jeudi 4 août 2016

Barbarie, si tu veux de l'amour







"Cela commence partout toujours par la peur. Cela commence toujours partout par la trouille de vivre la si libre secousse verticale franche et follement vive de vivre. En ses vertigineux jaillissements. En ses incontrôlables geysers. En ses éclaboussures instantanées si belles. En ses bouillonnantes splendeurs.

En ses tornades qui dévissent l’anthracite aveuglant des trous noirs. En ses postillons lumineux qui chevauchent à cru les alezans rouge-braise jusqu’à la couronne battante du soleil.

En ses enclumes aux forges sans fumée qui sont d’audace pure et qui n’ont marteaux ni maîtres. Et qui tonnent du ventre des chants si hauts. Et qui ne sonnent que du martyre ébahi d’oser vivre.

En ses éclaboussées, yeux dans les yeux, de la femme et de l’homme face à face splendides. Et les deux mains posées l’un sur l’autre sur l’épaule. Et qui puissamment des deux bras s’embrassent seins contre seins où brassent à grand air, éponges d’être les poumons. Ces forges ahurissantes à mille saccades soufflées de vivre. Ces immenses sacrées pompes à être. Par où chacun croyant à nul diable, à nul dieu, à plein goulot envahit contre l’effroyable, la muette noyade ses éponges d’air. L’air le vif, l’air le bleu. L’air l’exigé, ce gazomètre.

Oui, sur la terre dans le ciel à trente kilomètres à la seconde par l’univers courbe qui fonce.

Et qui siffle d’un souffle que depuis toujours jalousent les serpents.



Cela commence toujours par la haine intense et jamais avouée des fleurs.

Par la haine jamais avouée de la crécelle grelottante du crotale.

Oui par la haine jamais avouée de la splendeur retentissante rouge, blanche, jaune, orange, mauve, violette et même rose-feu des fleurs. Par la détestation de la beauté libre de leurs pétales, de leurs pistils, de leurs étamines turgescentes & de leurs puissantes bouches enivrées, cannes-à-sucrées de la douceur follement butinée du miel. Debout nues au vent ravageant & qui articulent les lèvres toutes ourlées d’une parole immense. D’une parole immense.

Cela commence toujours par la haine du jus juté vivace et si libre de la bonté, de la beauté, ces indécentes, ces incandescentes.

Cela commence par la pétoche de la nature plus vivante et cent mille fois plus profonde que soi.

Cela commence partout par la détestation de la splendeur qui sous le vent musculeux frémit comme la plus souple, la plus furtive & verte des avoines.

Cela commence partout par la rage ténébreuse et bondissante et maudissante contre la sainteté si douce qui nous tient, celle qui rince nos yeux vers l’horizon chaque matin qui lève raide tout neuf son unique, son effronté, son si fidèle soleil.

Cela commence par l’aigreur levée contre la beauté si périlleuse des mystères insaisissables. Cela commence par la vengeance en soi de l’exigeante sainteté si libre, au couteau nu dégainé, si belle.

Cela commence par les actionnaires de l’éventrée du monde. Par la goulue, bête absolue, de s’enrichir. De tenir en ses mains tétaniques toujours plus. Toujours plus de fric, toujours plus d’or, toujours plus d’argent, toujours plus de sang, toujours plus de puissance, toujours plus de pouvoir liquide, toujours plus de sang et d’argent de papier liquide afin d’acheter tous les poils du ventre insupportablement poilu & autonome du monde. Voyous vendeurs. Actionnaires des armes, actionnaires des bombes, actionnaires de la torture, actionnaires de la guerre à répandre partout, vendeurs voyous de tout ce qui tue et qui finit toujours par enrichir.



Un camion blanc. Un camion blanc comme un linceul de 19 tonnes. Au moteur abruti qui ronronne. Promenade des Anglais qui se lance. Feu, l’artifice!
Et la réalité augmentée sur tous les smartphones. Par le monde des maîtres et des dresseurs. De la violence et du massacre banalisés. Et les pokémons par millions de réalité augmentée chargés sur tous les petits écrans frénétiques qu’on tambourine à deux pouces. Dizaines et centaines de

pokémons, de pokémons bébés, de pokémons enfants, de pokémons adultes ivres de cette laideur, là-bas en Baie des Anges, ivres de cette violence qui emballe le monde et que le monde emballe. Ivres de ces pokémons d’inconscience, puissance cent & cent mille, sur les smartphones que les tendres prétendus, que les doux prétendants font apparaître sur la bleuité aveuglante de leurs petits écrans, de leurs pouces préhenseurs qu’ils ont vendus
mais que gardent heureusement encore, du ouistiti au gorille, ces ultimes philosophes que demeurent véritablement, par la terre têtue qui boule au ciel, les singes.

Alors j’ai vu la guerre. J’ai vu le chat vibrant et nu, alors j’ai vu les yeux du chien noir si doux, alors j’ai vu l’enfant nouveau-né juste jailli du ventre douloureux de sa mère aux yeux accouchés de haute lanterne, oui je les ai vus, éclatés de viandes en sang contre le mur de toute la maison, sous la bombe & le baril de poudre des actionnaires, des terrasses à la cave qui s’écroule. Et la chambre à coucher mise à feu d’un coup qui s’effondre.

Sur l’évier la savonnette en son savon d’Alep même qui brûle.

Vendeurs voyous. Et il n’y a plus rien soudain partout que la totale explosée déchirure actionnée par l’intime saloperie humaine du monde, sous le zygomatique rictus jaune-sang des actionnaires.
Et toute la ville, une rue après l’autre, une chambre si vive intime si douce après l’autre et la fabrique enfarinée du pain où les brioches étaient croustillantes et blondes et tous les tuyaux de l’eau à boire doucement si fraîche par la gorge explosés. Tout strictement à jamais déchiré.
D’une désolation au front du ciel qui hurle. D’une haine au calcul des actionnaires accomplie.
Vendeurs vendus du tout-la-mort, de l’écroulement des terrasses & des falaises des murs et de la déchirure hurlée des viandes. La maison, fenêtres crevées, en poussière par la rue. D’une déchirure si déchirante et toute telle que l’avaient subodorée, oui, oui, oui, les actionnaires.
Et l’effroyable torture des hommes courageux et libres équarris jusqu’à l’os des nerfs par les actionnaires des anonymes sociétés qu’à satiété l’on vendange. Ongles à la tenaille ôtés des doigts. Torture et peau d’ange arrachée aux pages si subtiles du corps. Carcasse jusqu’à l’intime carcassée.
A tant et tant de morts d’enfants. A tant et tant de morts de femmes. A tant et tant de morts d’hommes.
A tant et tant de morts et effroyables équarrissements de marguerites, d’églantines & de roses de Damas, que la voracité des actionnaires tisonne et hideusement sans cesse sollicite. Ils font la guerre. Les actionnaires. Ils en redemandent. Ils avancent debout. Ils ont des bottes noires haineuses à taches jaunes jusqu’au coeur. Et leurs mousses bavantes impénétrables sont collantes et hideuses.

Ah tout faire pour fuir cette monstruosité grouillante. Oui, il faut larguer l’enclume, son acier si dense en feu et les barils explosés de la torture et de la mort. Lâchés d’en haut où vit, frelon totalitaire au nid d’acier, l’hélicoptère. Fuir l’hélice jusqu’au coeur qui tourne. Franchir la mer. Aller au loin. Quitte à s’engloutir dans les dunes de l’eau. Gagner l’horizon pâle là-bas qui vibre encore d’une paupière humaine. Mais les bateaux sont des boudins orange ou gris vendus très cher. Des barcasses pourries qui affrontent des vagues salées comme n’en ont jamais nommées ni la Torah, ni le Coran, ni la Bible. Et les gilets sont de naufrage. Et les barcasses pourries coulent, et les zodiacs crevés sombrent. Et chacun de ces naufrages est le naufrage de notre monde en son théâtre de terreur.

L’eau d’iode en ses frémissements turquoise et violets, l’eau salée peut alors s’engouffrer par les narines qu’on a tous à la face comme des ânes ou des chevaux, s’engouffrer par la bouche ouverte qu’on a chacun comme celui qui jamais aux oreilles des hommes et des femmes ne pourra crier

«au secours», qui jamais à personne ne pourra dire «adieu», qui jamais à personne ne pourra murmurer «je t’aimais tant mon oeuf ardent, je t’aimais tant mon bourgeon de gazelle».



Alors on ceignit leur front et leurs tempes, ces tambours de chevaux & d’aurochs que l’être humain porte de part et d’autre du crâne, oui on le ceignit brutalement d’un casque hideux dit de réalité augmentée afin qu’il contemple en 36 dimensions la tricherie barbare au siècle 21 du nouveau monde. Au siècle 21 des calculations fallacieuses immenses, plus obscur que ne le furent jamais, par les cinq continents & leurs millions d’îles, les moyens âges.

Intelligence artificielle. Les robots sont systématiquement hideux. Les robots sont exponentiellement débiles. « Je vous salis ma rue.» Vous ne contemplerez plus jamais la voie lactée. Les lumières des hommes ont étranglé déjà le frémissement lumineux des étoiles. Les robots du vide sont enclenchés. Bandeau sur l’âme, voyez comme ils sourient.



Mais nous avançons furtifs, amoureux massifs insaisissables contre les actionnaires de la pétoche humaine. Fous d’être au fabuleux grouillement de vivre. Aux rapaces nous opposons le vrombissement sacré des ailes toutes bleues si douces de la libellule. Aux politiques conviviaux tueurs systématiques d’amour nous opposons les yeux rouges agenouillés & haut-levés du myosotis et aux banquiers rikikis cravatés de haine les grands couteaux fabuleux affûtés à la si belle main fine osée d’être soi-même.

Car je vous le jure, ici les veines de l’acier sont tendres, ici les artères rouges du fer sont douces et bleues. Ici le coeur de l’enclume par les vaisseaux bat son rythme jusqu’aux tempes.



Honneur au feu de vivre, honneur aux amants invraisemblables & gloire joyeuse au maître des lupins car le phosphore incandescent m’habite et le feu d’être me tient. Et cette chanson à trente-six voix qui souffle l’âcre si douce secousse, le galop, sans cesse le rebond de l’horizon, la main au ras qui cueille le muscle juteux de la tige verte de la pâquerette. Celle dont la couronne au pré

est d’un blanc, vers Pâques, retentissant & qui éblouit & qui frappe, de son éclair cinglant de neige, le museau torve, le museau aveugle, le museau puant des ténèbres actionnées."

Un grand merci à Rémi, ami Phoète nazairien qui m'a envoyé ce texte de son ami
 Jean Firmann "Barbarie, si tu veux de l'amour" ( titre emprunté à Léo Ferré)



Ce poème donne son nom et fait partie des 

aubes musicales des Bains des Pâquis.

- Genève, samedi 20 et dimanche 21 août 2016 de six à sept heures du matin -


Musique spectaculaire pour quinze musiciens

 création de Pete Ehrnrooth

textes de Philippe Constantin et Jean Firmann



avec



Ludovic Lagana, trompette. Yves Massy, trombone. Ian Gordon-Lennox, tuba. Christophe Berthet, saxophone soprano. MarcoSierro, saxophone alto. Aina Rakatobe, saxophone baryton. Jacques Robellaz, cor. Patricia Bosshard, violon. Marie Schwab, violon alto. Jean Luc Riesen, contrebasse. Vinz Vonlanthen, guitare. Claude Tabarini et Hervé Provini, percussions.

Kornelia Brugmann, voix. Maroussia Ehrnrooth et Harmonie Armenti, danse.

Henrique Belo, le capitaine

Ce texte sera également lu par Rémi Begouen le samedi 13 août à 18h au "Pré vert" 30 rue du Maine à Saint-Nazaire


 

6 commentaires:

  1. Ce long dur poème en intégralité ici... merci !
    Je vais en informer l'auteur
    et
    bienvenue au Pré Vert le 13 à 18h...

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    Réponses
    1. j'essaierai de venir Rémi
      en fonction des aléas du boulot...
      belle journée à toi
      :-)

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  2. merci jean jacques de ce partage
    nous ne pouvons le commenter tant les images sont juste nous fumes des témoins et ce point de vue multiple nous rassemble en deuil de ce grand massacre , un homme encore ce matin est mort de ses blessures
    mille baisers à toi à bientôt

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  3. C'est Rémi qu'il faut remercier...
    et toi aussi Frankie pour ce message d'Humanité
    je t'embrasse

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  4. Quel texte incroyablement beau, et si tristement réaliste...
    Merci à Rémi, et à toi Jean-Jacques.

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